Certes, les gaz à effet de serre ne s’échappent pas des cheminées des centrales. Mais le nucléaire relâche néanmoins du CO2. Lors de l’extraction de l’uranium ou du démantèlement d’une centrale par exemple.
Une centrale nucléaire ne génère pas directement d’émissions de CO2. Ainsi, certains secteurs plaident en faveur du recours à ce type d’énergie pour lutter contre le changement climatique. Cependant, cette technologie n’est pas non plus exempte d’émissions de gaz à effet de serre, comme on l’entend souvent dire : elle émet évidemment du CO2, de manière indirecte. Comme nous l’avons déjà vu sur Eco Lab (le blog de l’auteur de cet article, Ndlr) avec un aérogénérateur ou un panneau photovoltaïque, pour mesurer de manière rigoureuse l’impact de n’importe quelle installation, il faut considérer le cycle de vie dans son ensemble : extraction des matières premières, construction de la centrale, gestion des déchets produits… C’est là que le CO2 est émis. Bien entendu, l’impact environnemental d’une centrale ne doit pas être réduit aux seules émissions de gaz à effet de serre (mesurées en tonnes d’équivalent carbone). Ses répercussions sur l’environnement sont bien plus larges. Mais la question du CO2 est déjà tellement complexe qu’elle requiert une analyse à part.
Combien de CO2 émet une centrale nucléaire tout au long de son cycle de vie ?
Paradoxalement, si cette question demeure si complexe, c’est à cause du grand nombre d’études qui ont cherché à lui apporter une réponse. En effet, leurs résultats sont généralement très divers. D’un côté, l’industrie nucléaire défend l’idée que cette technologie a une empreinte carbone aussi faible que des éoliennes (autour de 5-15 grammes de CO2 par kWh produit). Mais quelques travaux trouvent des valeurs beaucoup plus élevées, bien supérieures à l’empreinte de n’importe quelle énergie renouvelable (y compris l’énergie photovoltaïque).
Mais à qui se fier ?
Un chercheur de l’université nationale de Singapour, Benjamin Sovacool, s’est attaché à identifier les études les plus à jour et les plus transparentes. Publiée en 2008 dans la revue « Energy Policy », son étude a compilé 103 analyses de cycle de vie portant sur les émissions des centrales nucléaires. Pour faire son étude, le chercheur a écarté les centrales les plus anciennes (antérieures à 1997), celles peu accessibles et celles qui suivaient une méthodologie impossible à comparer avec le reste du panel, ou qui généraient des doutes. Au final, il a conservé 19 études exploitables [1], avec une fourchette de résultats assez large : entre 1,4 et 288 grammes de CO2/kWh. A partir de tous ces travaux, le chercheur de Singapour a estimé l’empreinte carbone moyenne d’une centrale nucléaire à 66g de CO2/kWh, soit une empreinte supérieure à celle des énergies renouvelables, mais bien inférieure à celle du gaz ou du charbon. « Ces 66 g de CO2/kWh sont une moyenne, mais de nombreuses centrales, notamment en Asie, obtiennent de plus mauvais résultats, proches des émissions d’une centrale électrique au gaz », assure le chercheur. Il impute cela à la faible qualité du minerai d’uranium, utilisé comme combustible dans ces centrales. Pour connaître réellement les émissions d’un réacteur nucléaire, il faudrait mener une étude au cas par cas, pays par pays. Contrairement à ce qu’assure le Forum de l’industrie nucléaire, des études de ce type n’ont jamais été réalisées en Espagne (le pays de l’auteur de cet article, Ndlr). Cela impliquerait, pour une centrale espagnole, d’analyser les émissions de gaz à effet de serre générées à toutes les étapes : depuis l’extraction de l’uranium et l’élaboration du combustible nucléaire, jusqu’à l’enfouissement des déchets radioactifs, en passant par la construction de la centrale, son fonctionnement pendant presque 40 années et son démantèlement en fin de vie.
Le pire c’est la centrale ?
On estime que pour construire un réacteur nucléaire type à eau pressurisée (PWR) et de 1 000 MW de puissance, il faut quelque 170 000 tonnes de béton, quelque 32 000 tonnes d’acier, 1 363 tonnes de cuivre et 205 464 tonnes d’autres matériaux dont quelques-uns requièrent beaucoup d’énergie. Il s’agit d’installations très robustes et complexes. Cependant, d’après les valeurs moyennes des 19 études sélectionnées par Sovacool, cette phase de construction serait la moins émettrice en CO2 de toute la vie du réacteur. Les étapes les plus émettrices seraient la fabrication du combustible nucléaire, puis le démantèlement de la centrale suivi de la gestion des déchets radioactifs calculée pour une période de 100 ans jusqu’à leur enfouissement, qui est supposé durer beaucoup plus longtemps. Dans le cas de l’Espagne, comme l’indique le Forum nucléaire, l’uranium utilisé par les centrales provient exclusivement de mines étrangères, principalement de Russie (45%), d’Australie (22%), du Niger (20%), du Kazakhstan (6%), du Canada (5%)… Le processus, qui consiste à transformer ce minerai en barres qui sont ensuite introduites dans le réacteur nucléaire, est beaucoup plus laborieux qu’une simple extraction. L’isotope utilisé pour la fission de l’uranium dans les réacteurs nucléaires est le U-235, qui se trouve en très faibles concentrations dans la nature. C’est pour cela que le minerai d’uranium doit être enrichi.