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Jean-Louis Bal : « Pour une politique plus stable des Energies Renouvelables »

Le mardi 1er mars dernier, Jean-Louis Bal, ancien directeur des énergies renouvelables à l’ADEME, s’est définitivement installé dans le fauteuil de président du Syndicat des Energies Renouvelables. En plein tourmente photovoltaïque. Interview d’un homme de convictions qui expose la nouvelle stratégie du SER, alors même, que l’arrêté définitif sur les conditions tarifaires vient d’être publié samedi 5 mars ! Plein Soleil : Vous quittez l’ADEME pour rejoindre le SER, en pleine crise du secteur photovoltaïque. Autant dire que vous n’avez pas choisi la facilité. Qu’est-ce qui vous a poussé à tenter cette aventure syndicale ? Jean-Louis Bal : Vous dîtes que je n’ai pas choisi la facilité. Le mot est faible et je le mesure. J’arrive effectivement à un très mauvais moment. Mais ces difficultés ne m’ont en rien découragé de prendre le poste. Voilà trente-cinq ans que je travaille dans les énergies renouvelables et j’ai déjà vécu beaucoup de situations difficiles. Cela ne me rebute pas. Je vais essayer d’être à la hauteur du défi qui m’attend loin de toute routine. Cela m’inquiète mais ne m’effraie pas. Et puis vous savez, la mise en oeuvre du fonds chaleur à l’Ademe ces derniers mois a également représenté un sacré challenge. « 50% des entreprises menacées à court » PS : Avez-vous aujourd’hui des retours de l’enquête lancée par le SER sur les répercussions sociales dans les entreprises après cette période de moratoire et le durcissement à venir des conditions, en termes de défaillances d’entreprises et de pertes d’emplois ? JLB : Nous avons eu 25% de retours. Sur ce panel, on peut dire qu’environ 50% des entreprises et 50% des effectifs sont menacées à court terme. Si l’on extrapole un peu à l’ensemble de la filière qui comptait 25 000 personnes à fin 2010, on peut dire que près de 12 000 emplois sont menacés à court terme. Thierry Autric de Qualit’ENR m’a confirmé que des installateurs ont d’ores et déjà fermé boutique ou licencié du personnel. Pour tout dire, la situation est assez catastrophique. PS : Mais avec la réalisation actuelle des projets qui se trouvaient en liste d’attente, l’inquiétude sur la situation de court terme n’est-elle pas surévaluée ? JLB : Vous avez sans doute raison. Le chiffre d’affaires de la filière en 2010 atteint 4 milliards d’euros pour 800 MW installés. En 2011, le chiffre d’affaires devrait se maintenir le temps que l’on épuise les projets des listes d’attente. Ensuite, les emplois diminueront proportionnellement à la baisse du chiffre d’affaires. A court terme, les entreprises les plus menacées sont celles dont la clientèle esr constituée par l’habitat individuel. Même si ce secteur n’était pas concerné par le moratoire, le discours très négatif de l’Etat sur la photovoltaïque a eu pour effet un effondrement du marché. Si la situation est déjà difficile aujourd’hui, elle sera encore plus inquiétante en 2012 quand les listes seront purgées. Et tout cela sans aucune empathie du gouvernement. Le premier ministre François Fillon est figé dans une posture d’absence totale de dialogue et d’écoute. La concertation et le travail avec Charpin se sont bien déroulés. Et l’on nous pond unarrêté sans période de transition qui ne tient aucun compte de la concertation. Idem au CSE où aucune suggestion n’a été retenue avec un commissaire du gouvernement retranché derrière l’arbitrage de Matignon. Matignon n’a qu’une vision à court terme. On a l’impression que François Fillon ne croit pas en l’avenir industriel de la filière balayant les fondements de la stratégie que l’on aurait pu développer. Car nous disposons d’un potentiel intéressant de capacité d’innovation, notamment avec l’INES (Institut National de l’Energie Solaire), l’IRDEP (Inr&stitut de Recherche et Développement sur l’Énergie Photovoltaïque), les Pôles de Compétitivité et la R&D menée par les entreprises. PS : Dans la tourmente photovoltaïque, le SER a été attaqué et souvent malmené, débordé même par la base qui lui reproche sa trop grande proximité avec la haute administration et les politiques. Cette stratégie de proximité pour exercer une forme de lobby « amical » n’a-t-elle pas atteint ses limites ? N’est-elle pas totalement inopérante au vu des dernières décisions gouvernementales qui sont demeurées inflexibles comme on a pu le voir justement lors du CSE ? JLB : Ces derniers mois la volonté du SER était de demeurer dans une logique de dialogue avec l’administration et les cabinets. D’autres associations ont eu des approches différentes. Finalement vous remarquerez que ni le SER ni les autres n’ont été opérantes et n’ont pu infléchir la tendance. On peut se demander si notre approche est la bonne ou pas. Mais même si le dialogue avec l’administration et le gouvernement a atteint ses limites au vu des décisions catastrophiques, je pense qu’il est capital de le maintenir tout en étant très critique. Cela n’empêche pas d’avoir des visions différentes et de les défendre. En tous les cas et pour l’heure, notre mission est plutôt d’essayer de sauver les meubles à court terme, de faire en sorte de permettre aux entreprises de réaliser encore quelques projets et de maintenir leur activité en les assistant dans la diversification de leurs activités. Je crois aussi que notre mission principale à ce jour est de faire passer un message positif et de redonner une image positive du photovoltaïque qui a été écornée et dégradée auprès de la clientèle. Tous ces atermoiements ont fini par décourager les clients. Regardez ! Le marché des particuliers qui conservait un tarif attractif et un crédit d’impôt de 25% s’est effondré. Nous allons devoir naviguer entre critiques au gouvernement et des propos résolument positif afin de ne pas éloigner les prospects tentés par le photovoltaïque. L’équation n’est pas simple. PS : Un mot sur l’arrêté définitif du 4 mars 2011, votre analyse ? JLB :L’arrêté publié est très semblable au projet soumis au CSE. Il confirme les baisses de tarif extrêmement brutales du tarif initial, y compris pour les particuliers ainsi que les baisses automatiques trimestrielles basées sur les entrées en file d’attente. A cet égard, le seul point sur lequel nous avons obtenu satisfaction est la condition d’entrée en file d’attente qui devait être à la fois rigoureuse pour ne pas laisser passer tous les projets, y compris les moins sérieux ce qui aurait eu pour corollaire d’accélérer la baisse automatique, et réaliste pour permettre aux bons projets de prouver leur faisabilité. Pour toute installation supérieure à 100 kWc, le tarif tombe à 12 c€/kWh, ce qui est aujourd’hui inaccessible. En conséquence, les grandes toitures et les centrales au sol émargeront à la procédure des appels d’offres pour la quelle le retour d’expérience est à ce jour très négatif. Néanmoins, comme le défi nous est lancé, nous collaborerons avec l’administration pour tenter de rendre cette procédure plus efficace. Les prochaines semaines nous apporteront rapidement des informations sur la capacité de la profession à s’adapter à cette nouvelle situation, en particulier sur le secteur de l’habitat individuel. « Le photovoltaïque va connaître des bouleversements spectaculaires » PS : Jean-Louis Bal, quelle stratégie et quelles nouvelles propositions allez-vous porter pour peser davantage sur les débats et vous réconcilier avec la base ? JLB : Je crois qu’il est important de reconstruire une nouvelle stratégie sans se précipiter avec comme échéance le printemps 2012. La question de l’environnement va revenir dans le débat pour les présidentielles. La maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables vont être remis sur la table. Il serait inepte de faire, dans la précipitation, des Etats Généraux du Solaire ou de présenter un nouveau plan solaire dans les deux mois qui viennent. Je pense de mon côté que la « revigorisation » du photovoltaïque, si vous me permettez ce néologisme, ne doit pas être centrée uniquement sur le développement du marché mais d’abord sur une politique de développement de l’offre. En France, le marché s’est développé avant l’offre, il y a eu une impatience. C’est ainsi que le déficit commercial du photovoltaïque en France se situe entre 1 et 1,5 milliard d’euros. On ne le conteste pas mais ce n’est pas une raison pour condamner une filière alors que notre analyse l’a montré, 75% de la valeur ajoutée du photovoltaïque reste tout de même en France. La question est de savoir comment on fait pour réduire ce milliard ? Le SER estime que la solution est à trouver dans le soutien à l’innovation au sein des entreprises qui se sont développées. Les outils sont là avec le Grand Emprunt, les Investissements d’Avenir ou les Instituts d’Excellence financés par l’ANR (Agence Nationale de Recherche). PS : N’est-il pas trop tard ? JLB : Dans les mois à venir, le photovoltaïque va connaître des bouleversements spectaculaires au niveau mondial avec une offre très largement supérieure à la demande. Il va y avoir de gros dégâts. Les cartes vont être rebattues. Il sera alors essentiel d’arriver avec des produits innovants sur le marché. Les Américains qui ont fait de l’innovation une seconde nature, se positionnent déjà dans cette optique de marché. Les industriels français ont certainement leur mot à dire avec les technologies innovantes issues de l’INES, l’IRDEP ou les pôles de compétitivité, et aussi dans la notion d’intégré au bâti qui, partout dans le monde, a été négligée. Ils ont un temps d’avance dans la conception du bâti et dans l’intégration performante et esthétique des générateurs photovoltaïques. « Une grossière erreur que de faire d’EDF EN un bouc émissaire » PS : Il a également été reproché au SER une certaine mansuétude voir de la complaisance vis-à-vis d’un des opérateurs majeurs du secteur en France à savoir EDF EN qui a cristallisé de nombreuses oppositions. L’annonce du projet de méga centrales (265 MW) comme à Beaucaire dans le Gard ont soulevé de nombreuses interrogations. Si sur un plan légal ces 265 MW ne posent pas de problèmes particuliers, quel est votre point de vue sur le plan moral ? JLB : Ce serait une grossière erreur que de faire d’EDF EN un bouc émissaire. EDF EN n’est en rien la cause de la crise. Sur les suspicions d’entente illicite entre EDF EN et les opérateurs de réseau ERDF et RTE, il n’a pas le début d’un commencement d’une preuve. Il faut arrêter car cela finit par ternir l’image globale de la filière. Vous évoquez également ce grand projet de 265 MW quand on sait que la limite est fixée à 12 MW. EDF EN a trouvé une façon légale de contourner la réglementation. Doit-on reprocher à l’administration de ne pas avoir mis en place une réglementation incontournable ou à EDF EN d’avoir su en profiter ? Je dois vous dire qu’ils ne sont pas les seuls à avoir contourné la réglementation. Et puis sur le fond, quelle est la pertinence de ce seuil ? Ce seuil des 12 MW issu de la loi de février 2000 sur la modernisation et le développement du service public de l’électricité n’a aucune rationalité. Je serais en revanche plus critique sur la question de l’occupation des sols. Autant je n’ai aucune objection sur l’implantation d’une centrale sur un vieil aérodrome, autant j’émets des réserves quant à une implantation sur des terres agricoles. Sur ce plan, l’administration dispose d’outils de régulation avec les études d’impact obligatoire dans l’instruction des permis de construire. Cette question se juge au cas par cas et c’est à l’administration de juger dans le cas de Beaucaire comme ailleurs. PS : Mais tout de même Jean-Louis Bal, les 265 MW représentent plus que les quotas alloués au solaire photovoltaïque au sol ? JLB : Ces 265 MW ne passeraient certes pas aujourd’hui puisqu’ils représenteraient une puissance supérieure au quota annuel qui nous est proposé. Mais lorsqu’ils ont été déposés, ces quotas n’existaient pas. PS : Mais ils étaient connus de tous et inscrits dans l’air du temps via le rapport Charpin ! JLB : Va-t-on reprocher à un opérateur d’avoir su anticiper ? Tout le monde pouvait en faire de même et beaucoup l’ont fait. PS : Ne pensez-vous pas qu’il serait pertinent d’établir à l’avenir une véritable séparation entre le gestionnaire de réseau qui achète l’électricité et celui qui développe les projets avec, bien entendu, toutes les suspicions qui gravitent autour ? JLB : Le problème dépasse largement le photovoltaïque et les énergies renouvelables. Il est clair qu’un actionnariat commun entre le principal fournisseur d’électricité et les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution génère des situations susceptibles d’engendrer toutes sortes de suspicions. Maintenant, ne comptez pas sur moi pour prendre position sur la libéralisation du système français de l’électricité ! « La limite des 500 MW n’a aucun fondement » PS : Croyez-vous vraiment encore, et vu le contexte, dans le développement d’une vraie filière industrielle en France qui ne pourra s’appuyer que sur un marché domestique de 500 MW par an ? JLB : Il est vrai que ces 500 MW, qui n’ont, là encore, aucun fondement représentent une limite très faible. Dans l’élaboration de notre stratégie, nous allons bien sûr la remettre en cause. 500 MW cela n’est pas suffisant pour développer la politique de l’offre que nous plébiscitons. Jusqu’à combien faut-il monter ? Notre réflexion portera également là-dessus. Des suggestions ont été émises durant la concertation et il faudra les reprendre. Cependant, une chose est sûre, dans le cadre de développement d’une politique de l’offre, les entreprises soutenues ne devront pas uniquement miser que sur le marché français mais également faire le pari de l’exportation, au moins sur le marché européen dans un premier temps. PS : Qu’avez-vous pensé de la réaction du MEDEF qui vient abonder la politique de rigueur du gouvernement sur le photovoltaïque ? JLB : J’ai été choqué. Je ne sais pas si la position exprimée est celle de Mr Clamadieu ou celle du MEDEF qui ne nous a absolument pas consulté Il a en tous les cas fort peu de légitimité pour parler ainsi, sans aucun analyse crédible. Le MEDEF n’a, à ma connaissance, aucune compétence sur le photovoltaïque. PS : De nombreux installateurs ont d’ores et déjà entamé des politiques de diversifications pour éviter les licenciements. Certains d’entre eux se tournent ou reviennent vers le solaire thermique. Avez-vous de bonnes nouvelles sur le solaire thermique ? JLB : J’ai assez peu de nouvelles pour tout vous dire. Nous attendons les dernières statistiques sur le solaire thermique. Je sais cependant que la morosité de 2009 du marché de l’habitat individuel s’est poursuivie en 2010. Le collectif irait un peu mieux avec l’apport du fonds chaleur qui a eu des effets positifs mais pas autant que l’on aurait pu espérer. Je dirai avec une pointe de cynisme que le malheur du photovoltaïque risque d’être une bonne nouvelle pour le thermique qui a été fortement concurrencé. J’avais d’ailleurs en son temps dénoncé le crédit d’impôt photovoltaïque qui consommait la totalité de l’assiette éligible et condamnait le thermique. Et puis le fait que les installateurs s’intéressent à nouveau au thermique représente également un facteur de le relance. N’oublions pas que le chauffe-eau solaire dispose d’un crédit d’impôt à 45% et devrait être soutenu par la réglementation thermique. Maintenant, il faut que le SER et les autres acteurs se penche sur le pourquoi de l’atonie du solaire thermique en France dont on attendait mieux. « Pour une politique énergétique plus pérenne et plus stable » PS : Vous avez quelques idées ? JLB : Il y a certainement un problème de coûts finaux excessifs. Mais aussi des problèmes de confiance dans les performances, la qualité du travail. Nous allons analyser tout cela avec Qualit’EnR. PS : Un dernier mot Jean-Louis Bal. L’énergie solaire demeure l’énergie préférée des Français. Les parlementaires l’ont défendu bec et ongles. N’est-ce pas finalement la technostructure de nos élites biberonnées à l’atome qui dirigent la politique énergétique du pays ? Et quid des présidentielles ? JLB : D’abord, j’aimerais vous dire que le SER n’est pas anti nucléaire et il ne l’a jamais été. Il est plutôt anti « tout nucléaire » même sur l’électrique d’ailleurs. Pour le débat qui précédera les présidentielles, le SER va proposer une stratégie de développement des énergies renouvelables puis nous la soumettrons à tous les candidats pour connaître leur positionnement face à la grande mutation énergétique qui nous attend. On ne peut plus avoir une politique de stop and go indexée sur les soubresauts du prix du baril de pétrole. Il faut voir le pétrole dans une optique de ressource épuisable qui en plus détruit le climat de la planète. Cela vaut bien une politique pérenne et stable. Croyez-moi, le SER sera très actif dans l’élaboration de cette politique énergétique de fond.